Posté à 17h00
                TEXTE : Fanny Lévesque La Presse             
                PHOTOS : Olivier Jean La Presse             

(Roberval) Agathe Awashish touche son cœur et souffle quelques mots aux Atikamekw. “Elle dit qu’elle se sent légère ici”, traduit la fille de Chantale en désignant le centre de sa poitrine. A 81 ans, la plus âgée des autochtones découvre enfin la vérité sur la naissance de son fils Joseph, né à l’hôpital d’Amos en 1961. Les Awashish viennent d’obtenir les premiers documents officiels, levant en partie le voile sur son état de santé. la naissance de bébé et ses derniers instants. La famille Opiticiwan en Haute-Mauricie a été l’une des premières à découvrir des réponses en vertu de la nouvelle loi permettant la divulgation de renseignements personnels aux familles d’enfants autochtones disparus ou décédés après leur admission à l’établissement, entrée en vigueur en septembre . Il n’a fallu que six mois pour trouver les pièces d’un puzzle inachevé qui a hanté Mme Awashish pendant 60 ans. PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Chantale Awashish et sa mère, Agathe “Elle n’a jamais oublié”, dit Chantale, qui vit près de sa mère. Dans sa chaise berçante, l’aînée fait un clin d’œil. Enceinte jusqu’aux oreilles, Agathe Awashish a pris le train depuis le camp forestier Oskélanéo au sud d’Opiticiwan, où son mari était bûcheron, pour donner naissance à leur deuxième enfant à Amos. C’était l’été 1961. Il ne connaît pas la date. Elle accouche la nuit, mais repartira les mains vides. C’est tout ce qu’il saura. On lui aurait dit que son bébé était mort le lendemain de l’accouchement. Elle, qui ne comprenait pas le français, n’a jamais pu serrer son bébé dans ses bras ni voir sa dépouille. PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Agathe Awashish Il renverra une image de lui, celle d’une infirmière portant un cercueil dans le couloir de l’hôpital. Son bébé était-il à l’intérieur ? Comment Joseph est-il mort ? Où son corps a-t-il été enterré ? Il ne le saura qu’aujourd’hui, et encore. Le portrait n’est pas complet. “Le seul souvenir qu’elle garde de son bébé, ce sont ses pleurs”, conclut tranquillement Chantale Awashish.

Un cas parmi tant d’autres

Au moins 200 enfants autochtones auraient disparu ou seraient décédés après avoir été admis dans des établissements de santé au Québec, selon les dernières estimations. Des cas ont été signalés des années 1940 jusqu’à la fin des années 1970. PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Agathe Awashish L’histoire est presque toujours la même : un enfant est tombé malade et a été envoyé hors de la communauté pour se faire soigner et n’est jamais revenu. Les familles ont été laissées dans l’obscurité totale. Dans le cas des naissances, les parents étaient informés du décès, sans pouvoir voir le corps, comme pour Joseph. La loi (loi 79) permet désormais aux membres de la famille d’avoir accès aux renseignements personnels « susceptibles de révéler les circonstances entourant la disparition ou le décès d’un enfant autochtone ». Cela signifie qu’un frère ou une sœur peut demander l’accès au dossier médical de l’enfant disparu, par exemple, ce qui n’était pas possible auparavant. C’est ce qu’a fait Chantale Awashish au nom de sa mère pour l’aider à découvrir la vérité. Le Québec a également mis sur pied la Direction du soutien aux familles, une petite équipe qui accompagne et soutient les familles dans leurs recherches. Le projet est également mené en collaboration avec le groupe Awacak, une organisation de nombreuses familles endeuillées, appuyée par une conseillère spéciale, l’ancienne journaliste Anne Panasuk. C’est aussi dans la foulée des enquêtes journalistiques de ce dernier, en 2017, qu’Agathe Awashish ouvre pour la première fois les circonstances de la naissance de Joseph. “Pendant des années, elle était dans le silence, dans sa douleur”, raconte Chatale, qui n’a appris l’existence de son frère qu’à ce moment-là. “Après ça, je n’ai jamais lâché. “J’ai fait des demandes de dossiers, mais rien n’a bougé”, se souvient Atikamekw, également impliqué dans Awacak. [Quand la loi est entrée en vigueur], ils m’ont demandé s’ils voulaient commencer par le dossier de ma mère. Ils savent qu’elle est âgée et qu’elle souffre d’une maladie chronique. Chantale Awashish PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Agathe Awashish et sa fille Suzanne Le père de la famille Awashish, qui avait sept enfants, est décédé en 2004 sans savoir ce qui était arrivé à Joseph. “Quand mon père a entendu le sifflet du train, il est allé à la gare pour saluer ma mère. Quand il est descendu, il n’avait pas de bébé μουν J’imagine depuis longtemps les visages de mon père et de ma mère. “Ils ont beaucoup souffert et j’ai compris cette souffrance plus tard”, raconte leur fille.

“Un pas vers la reprise”

En septembre, Chantale Awashish remplit les documents officiels pour commencer la recherche. Malgré quelques déboires – le dossier médical de sa mère reste inconnu – les équipes récupèrent les dossiers médicaux ciblant Joseph. Selon le registre des naissances de l’Hôtel-Dieu d’Amos, Joseph Awashish est né le 11 août 1961 à 2 h 30. PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Chantale Awashish Ma mère connaît maintenant la date de naissance de son garçon. Avoir un rendez-vous est déjà un pas vers la guérison. Chantale Awashish Le moment où l’information a été communiquée à Mme Awashish a été particulièrement émouvant. « Elle a pleuré. Il y a eu du soulagement, mais aussi de la tristesse. Le ministre délégué aux Affaires autochtones, Ian Lafrenière, a été invité à assister à cet échange de vues très intime, virtuellement. C’était extrêmement émouvant », a-t-elle déclaré en entrevue à sa demande. La Presse. “C’était déchirant parce que d’un côté tu es content qu’il y ait un résultat précis grâce à la loi, mais en même temps, en tant que société, ça te prend au visage que cette femme, cette mère là, attendu 60 ans pour avoir des réponses aussi élémentaires.« C’est impensable », poursuit le ministre. PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES DE PRESSE Ian Lafrenière, ministre délégué aux Affaires autochtones Le Département du soutien familial du Secrétariat aux affaires autochtones travaille actuellement avec 36 familles pour clarifier les circonstances du décès ou de la disparition de 58 enfants. Dans le texte législatif, le ministre devait remettre un premier rapport sur la mise en œuvre de la loi au plus tard le 31 mars 2022. M. Lafrenière a confirmé que le dépôt devrait être fait d’ici la fin avril et que le gouvernement souhaite le faire à la communauté .

Questions en suspens

Mais la découverte des informations originales sur Joseph Awashish apporte aussi son lot d’interrogations. Selon les documents retrouvés, l’état de santé du nouveau-né s’est rapidement détérioré. Il a été découvert qu’il souffrait d’une malformation cardiaque congénitale et est décédé peu de temps après. Une autopsie n’aurait pas été pratiquée. Une enquête plus approfondie menée par le Service de soutien à la famille mène aux dossiers de la paroisse Christ-Roy, Amos, qui confirment que son corps a été inhumé au cimetière local le 12 août 1961. Selon la famille, le cimetière d’Amos a récemment confirmé son existence. une tombe où sont enterrés les enfants d’aborigènes morts entre 1950 et 1976. Cependant, malgré cette confirmation, le nom de Joseph Awashish n’apparaît pas dans les archives. PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Chantale Awashish “J’ai encore un point d’interrogation […] Est-il vraiment mort ? “, si …