Michel Bouquet est parti en arpentant les rues populaires du Haut Montmartre, vêtu de son imperméable beige qui le faisait ressembler à un personnage de Simenon ou d’Emmanuel Bové : discret, presque anonyme. Sa vie se confondait avec le théâtre et la mort n’est pas une scène. “Je ne me trouve pas intéressé. Mais terne, banal, plat. Ce sont les rôles qui me donnent de la profondeur”, a-t-il déclaré, celui qui incarne l’acteur ultime. Le théâtre était son refuge, après une enfance qu’il a préféré oublier et ne plus quitter. Jouer, jouer, jouer, pour laisser loin derrière lui ces années grises, où il se disait : « Si c’est la vie, tu n’as pas besoin d’être ici. Michel Bouquet, décédé mercredi 13 avril à l’âge de 96 ans, est né le 6 novembre 1925, dernier d’une famille de quatre fils. Depuis son retour de la guerre de 1914-1918, son père, chef comptable à la préfecture de police de Paris, ne parle plus qu’à ses amis du régiment. Il partira pour celui de 1939-1945 : quatre ans emprisonné en Poméranie. Il revient, encore plus muet, pour partir doucement pour de bon. L’enfance de Michel Bouquet (sans lien avec l’actrice Carole Bouquet) au pays des ombres tient en deux mots : retraite et guerre. A l’âge de 7 ans, il est envoyé à l’école Fénelon de Vaujours (aujourd’hui Seine-Saint-Denis). Sept ans dans le tunnel, sept ans sur le piquet de grève. Il ne s’adaptera jamais à cet univers qu’il qualifie de “brutal, grossier, une société humaine en déclin, extrêmement cruelle”, dans laquelle le garçon brun et maigre oppose une résistance passive mais absolue. Il passe sa vie dans le coin, inventant des histoires “pour qu’il ne meure pas” et devient ce “gentil anarchiste” qui ne cessera jamais d’être. Quand il part, en 1939, c’est la guerre et, au printemps 1940, la sortie. Michel Bouquet reviendra à jamais marqué par cette fuite épuisante vers Lyon et l’Occupation. “Au début de la guerre, Paris était couvert d’affiches disant : ‘Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts !’ Et en une nuit, tout s’est effondré. Je ne pouvais pas supporter ce mensonge. Quant à l’Occupation, c’était une période dégoûtante, honteuse… Mais elle a forgé ma capacité à ne plus avoir d’illusions sur ce monde. »
La voix du destin
Quelques mois plus tard, la famille revient à Paris. La mère de Michel Bouquet, cette mère tant aimée, tant admirée, qui vivra jusqu’à 101 ans, est mystérieuse. Elle coud et recoud des bonnets et des capuches chaudes jusqu’au bout de la nuit et se débrouille. Par-dessus tout, elle aime le théâtre, le cinéma, la musique. Elle emmène son fils à l’Opéra-Comique, à la Comédie-Française et à la Gaîté lyrique. Le jeune homme est ébloui, transporté. Plus précisément, ce jour de 1942 où, à la Comédie-Française, il voit Maurice Escande dans le rôle de Louis XV dans Madame Quinze de Jean Sarment. Il faudra encore quelques mois à Michel Bouquet pour entendre la voix du destin. Un beau dimanche de mai 1943, il trouve l’adresse de Maurice Escad dans l’annuaire téléphonique. La vie, parfois, est aussi simple qu’une cloche. A 10h10, le jeune homme se présente devant la porte de l’appartement de la rue de Rivoli. Le célèbre sociétaire de la Comédie-Française est là. Entendez l’apprenti comédien dire La Nuit de décembre, de Musset. “Mais c’est pas mal !” Tu dois venir dans ma classe… » Voici. Pour Michel Bouquet, tout ira très vite. Le Conservatoire, où il brille aux côtés de Gérard Philippe, à la fois solaire et obscur. La rencontre avec Camus et Anouig. Avec le premier, il interprète le rôle de Scipion dans Caligula, en 1945, après le rôle de l’empereur lui-même en 1951, la Loi, en 1949 et l’Occupé, en 1959. Avec le second, Roméo et Jeannette (1946), La L’Invitation au château (1947) et les Pauvre Bitos ou le Dîner de têtes, qui fit scandale en 1956 pour son personnage qui participa à d’horribles purges au nom de la Résistance. Dans Roméo et Jeannette, Michel Bouquet rencontre Jean Vilar, un comédien qui songe déjà à sa première Semaine de l’Art à Avignon, qui aura lieu en septembre 1947. Bouquet fera partie de l’aventure, dans le rôle d’un Hamlet moderne. à Jeanne Moreau, sur La Terrasse de midi, de Maurice Clavel. Mais, avec Vilar, les relations seront toujours compliquées. Les deux hommes se respectent. L’acteur accompagne les débuts de l’aventure du Théâtre national populaire (TNP) : il affronte la Cour d’honneur du Palais des Papes, à Avignon, en 1950, dans Henri IV, Shakespeare. Ensuite, il y aura La Mort de Dundon, Buchner, La Tragédie du roi Richard II de Shakespeare et Dom Juan, de Molière, de retour à la Cour. Cependant, il ne voudra jamais rejoindre la compagnie, puisqu’il refusera par trois fois d’intégrer la Comédie-Française : « Je suis très individualiste, très solitaire pour la vie de troupe. Villar, déçu qu’il l’ait quitté pour ses « ouvertures », lui propose Hamlet lui-même. Mais l’acteur n’est pas d’accord avec son “manager” sur la vision du personnage et viendra frapper à la porte de TNP. “Pour moi, un acteur n’est intéressé que s’il défend sa propre perception du personnage” L’épisode révèle la grande intransigeance, la fierté d’un acteur qui a une idée bien particulière de son métier, qui l’a éloigné des grands metteurs en scène, à de rares exceptions près – Claude Régy et Roger Planchon l’ont dirigé dans de nombreuses pièces. par Harold Pinder. “Pour moi, un acteur n’est intéressé que s’il défend sa propre perception du personnage. “Je dois me sentir maître du jeu, sinon je n’ai ni courage ni envie”, a-t-il expliqué. Le bouquet est mesuré directement avec les auteurs. Et les écrivains, après Camus, étaient nombreux : Beckett, Ionesco, Pinder, Strindberg, Thomas Bernhard et, dans les années 2000, un retour à Molière, qui pour lui ne signifiait pas renouer avec un classicisme confortable : « Molière est tout sauf un moraliste. . C’est un provocateur, un tireur, comme Thomas Bernhard. » C’est ainsi que s’est construit Michel Bouquet, dans une revendication qui en a fait un monstre sacré. Mais monstre solitaire, malgré la belle compagnie qu’il a poursuivie avec sa femme, l’actrice Juliette Carré, mariée en secondes noces en 1970 (il avait précédemment épousé l’actrice Ariane Borg, dont il avait divorcé en 1967). Il a individuellement cherché les voies de cette « école de vérité » que le théâtre devrait être pour lui. “Quand on vit comme ça avec de grands esprits, c’est certain qu’un peu de poudre d’or va tomber sur vous”, a-t-il confié à Fabienne Pascaud, directrice de la rédaction de Télérama, dans le beau livre qu’ils ont co-écrit, Mémoires d’un acteur (Plon, 2001) . Les planches étaient son royaume, celui qui dans la vie cultivait l’anonymat jusqu’à l’étrangeté. Lorsqu’on lui a demandé, notamment lors d’une grande interview au Monde en décembre 2006, ce qui se serait passé s’il n’avait pas réussi à devenir acteur, Michel Bouquet a répondu qu’il aurait tout fait, « essuyer le décor ou partager les décors ». tant que c’est dans un théâtre.
“La fierté des humbles”
Pourtant, le cinéma, qui n’a jamais cessé de désirer sa présence intense et troublante, s’en contentera pour les décennies à venir. Il y débute en 1947 avec des seconds rôles dans Monsieur Vincent, de Maurice Cloche, et Brigade criminelle, de Gilbert Gil, puis, en 1948, dans Manon, d’Henri-Georges Clouzot. C’est cette même année 1948 qu’il campe son premier vrai personnage au cinéma : celui d’un salaud rebelle dans Pattes blanches, Jean Grémillon. Ecrit par Jean Anouilh, qui devait réaliser le film mais est tombé malade huit jours avant le début du tournage, le rôle ne lui était pas destiné. Pour Bouquet, la rencontre avec Grémillon était “apparente”. Il découvre, dit-il, que “pour être acteur il faut être vraiment cultivé, au niveau du savoir, du savoir de la vie”. Il retrouve Anouilh au cinéma en 1951, pour Deux sous de violettes, mais son véritable retour à l’écran intervient en 1967, pour La Mariée était en noir de François Truffaut, où il incarne un mélomane timide et solitaire. La Sirène du Mississippi (1968) reviendra avec Truffaut. Mais c’est Claude Chabrol qui marque le tournant de sa carrière cinématographique en lui attribuant les rôles principaux dans La Femme infidèle (1968) et Un peu avant la nuit (1971) : un mari indigné tue le bourgeois pompidou sa maîtresse. Des hommes faux pacifiques et ennuyeux. “Le coup de foudre”, a déclaré Sambrol à l’époque. “Je ne me suis jamais considéré comme un acteur de cinéma intéressant”, a déclaré Michel Bouquet, lassé de son métier de policier agaçant, député pourri, remarquable peu recommandable. “Je ne me suis jamais considéré comme un acteur de cinéma intéressant”, déclare pourtant Michel Bouquet, lassé de son travail de policier gênant, d’adjoint pourri, remarquable et peu recommandable. Il a besoin de textes malveillants pour respirer. Il a “l’orgueil des humbles”, il entend sans cesse prouver qu’il peut “faire…