“C’est une journée historique, à mon niveau en tout cas. Christine Lagarde n’a pas caché sa satisfaction à l’issue de la réunion de politique monétaire de la Banque centrale européenne, qu’elle préside. Et pour cause : la BCE, qui a procédé à son premier resserrement monétaire en onze ans, vient de sortir de l’ère des taux d’intérêt négatifs. Décision prise à l’unanimité des membres du conseil d’administration de la banque centrale. L’ampleur de la hausse – 50 points de base – est sans précédent depuis la création de l’euro il y a vingt-deux ans. Le taux de dépôt a ainsi été ramené à 0 %, celui de la facilité de refinancement à 0,50 % et celui de la facilité marginale de financement à 0,75 %. La BCE emboîte enfin le pas à ses grands homologues, comme la Réserve fédérale et la Banque d’Angleterre, qui ont commencé à normaliser la politique monétaire au printemps.
Surprendre
La décision a surpris les marchés. La BCE ne pouvait imaginer pire contexte pour une décision aussi cruciale. Certes, l’apparente reprise des exportations de gaz russe via le gazoduc Nord Stream 1 écarte pour l’instant le spectre d’un choc énergétique brutal plongeant la zone euro dans la récession. Mais la banque centrale a dû faire face au tremblement de terre provoqué en Italie par la démission du Premier ministre Mario Draghi. Un événement qui a fait bondir les rendements des obligations d’État italiennes. Cette forte hausse a toutefois été plutôt bien accueillie, même si les experts en politique monétaire estimaient que l’institution s’en tiendrait aux 25 points de base annoncés en juin. Mais Christine Lagarde a justifié la forte hausse de l’inflation enregistrée depuis lors – elle est montée à 8,6% en 12 mois, un nouveau record – et les hausses de prix “resteront à un niveau indésirablement élevé pendant un certain temps”.
Fin du guidage vers l’avant
En renouant avec son engagement de prévisibilité et de progressivité dans son resserrement des taux, la BCE a abandonné ce qui avait été l’un de ses principaux outils de politique monétaire : la « forward guidance » (ou gestion des anticipations des marchés). Les décisions sur le taux d’augmentation seront désormais prises à chaque réunion, sur la base des dernières données disponibles. “Promotion RIP. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose après tout, mais la crédibilité est un atout important que la BCE doit maintenir », a tweeté Frederik Ducrozet chez Pictet. Christine Lagarde, pour sa part, a insisté sur le fait que cette accélération de la hausse ne signifiait pas que la banque centrale visait des taux directeurs plus élevés en fin de processus. “Nous pensons que la BCE va relever ses taux d’un peu plus de 1%, pour atteindre un taux terminal de 1,25%, que nous considérons comme plus ou moins neutre”, a déclaré Samy Chaar, chef économiste chez Lombard Odier.
Bazooka contre la fragmentation
Le fait de choisir une hausse de 50 points de base a également servi à donner un avis unanime au Conseil sur l’autre point possible des annonces de la BCE : la création d’un mécanisme anti-fragmentation. Cet instrument, appelé instrument de protection des transferts, doit permettre de lutter contre la dispersion excessive des coûts de financement d’un État par rapport au reste de la zone euro, afin d’éviter une nouvelle crise de la dette.
La BCE relève brutalement ses taux directeurs
Critères d’application – quand intervenir et pourquoi ? – et les conditions exigées par les pays bénéficiaires divisent le Conseil supérieur. Le résultat est le fruit d’un compromis. Et si les informations diffusées par la BCE précisent les critères d’éligibilité à l’aide, les conditions de son déblocage sont restées volontairement floues.
Avertissement
La seule chose qui soit certaine, c’est qu’il ne pourra pas venir résoudre des problèmes politiques substantiels. Avertissement de péage vers l’Italie. L’écart entre l’Allemagne et l’Italie a bondi à 246,5 points jeudi. Très proche des 252 points de base qui avaient provoqué la réunion d’urgence du Conseil des gouverneurs en juin dernier. “L’unanimité sur cet instrument est un gage de crédibilité pour la Banque centrale européenne, suite aux réserves récemment exprimées par la Bundesbank”, estime Frank Dixmier, responsable mondial de la gestion obligataire chez Allianz GI. Cependant, l’éligibilité au TPI repose sur des critères qui convergent tous vers la notion de discipline budgétaire et d’équilibre macroéconomique. Cela affaiblira la portée ultime de ses bazookas. Par conséquent, la volatilité devrait se poursuivre dans les spreads.