Posté à 17h00
                Vincent Brousseau-Pouliot La Presse             

Pourtant, le fisc fédéral vient de remporter une victoire devant la Cour fédérale qui lui permettra de poursuivre le contrôle international de l’homme d’affaires québécois Lucien Rémillard, résident de la Barbade, paradis fiscal, depuis 2013. M. Rémillard demande aux tribunaux fédéraux d’annuler les enquêtes fiscales de l’ARC à son encontre aux États-Unis, en Suisse et à la Barbade. Il a perdu sa cause en première instance, mais a l’intention de faire appel devant la Cour d’appel fédérale. Cette décision rendue la semaine dernière par le Tribunal fédéral est importante pour l’OAPI, qui pourra continuer à contacter les autorités fiscales des autres pays pour vérification. Depuis plusieurs années, les pays du G20 – dont le Canada – tentent d’améliorer l’échange de renseignements fiscaux.

Un “non-résident” de la Barbade

Lucien Rémillard a fait fortune dans la gestion des matières résiduelles et a déjà été propriétaire du célèbre hôtel St-James dans le Vieux-Montréal. Lorsqu’il a vendu son entreprise de gestion des déchets RCI Environnement pour environ 300 millions de dollars et a pris sa retraite en 2013, il a déménagé à la Barbade. En 2015, il a également vendu St-James pour 24 millions. L’ARC doute que Lucien Rémillard réside effectivement à la Barbade – où il n’a pas de résidence – depuis 2013. Depuis 2016, le fisc vérifie sa résidence. L’administration fiscale a d’abord adressé plusieurs demandes d’informations détaillées à M. Rémillard. Ce dernier a notamment répondu, par l’intermédiaire de la société comptable KPMG, qu’”il est résident, mais n’habite pas à la Barbade pour les années 2013-17″. Puis le fisc lui a demandé “d’expliquer ce qu’est un résident de la Barbade qui n’habite pas”, écrit le Tribunal fédéral. Selon les informations fiscales (telles que résumées par la Cour fédérale), l’homme d’affaires à la retraite passerait environ un tiers de l’année à la Barbade, un autre tiers au Québec et le dernier tiers aux États-Unis. Si les autorités fiscales déterminent que sa résidence fiscale est au Canada, M. Rémillard devra payer des impôts au Canada sur l’ensemble de ses revenus globaux, y compris les revenus de placement. Dans le cadre de sa vérification, l’ARC a constaté plusieurs liens entre M. Rémillard et le Canada depuis 2013, comme en témoignent les faits énoncés dans la décision :

a des liens avec de nombreuses entreprises et fiducies au Canada. n’a pas de résidence à la Barbade et utilise comme adresse à la Barbade “l’adresse de son conseiller financier ou une résidence de luxe pour un bail à court terme” ; passerait le tiers de son temps au Canada. fait don de sa résidence de Québec à l’un de ses fils. utilise, pendant son séjour au Canada, la résidence principale ou secondaire de ses fils; le reste de sa famille vit au Canada.

Ce n’est pas un “voyage de pêche”

En 2019, “insatisfait des informations reçues” de M. Rémillard, le fisc fédéral a demandé des informations le concernant aux autorités fiscales des Etats-Unis, de la Suisse et de la Barbade, conformément aux conditions fiscales du Canada avec ces Pays. En juillet 2019, M. Rémillard a intenté une poursuite devant la Cour fédérale demandant l’annulation de ces demandes de renseignements aux autorités fiscales étrangères. Il a estimé qu’il s’agissait d’une “pêche” interdite par la loi et qu’elles contenaient des “déclarations trompeuses”. L’OAPI ne peut demander de manière injustifiée aucune information d’un contribuable à une autorité fiscale étrangère. La loi l’interdit. Mais dans le cas de M. Rémillard, la Cour fédérale conclut que les demandes aux autorités fiscales étrangères sont « justifiées », qu’elles respectent les conditions fiscales du Canada et que les autorités fiscales n’ont commis aucune irrégularité justifiant l’intervention des tribunaux. M. Rémillard compte faire appel de la décision afin de «protéger ses droits face à ce contrôle fiscal qui dure depuis trop longtemps», ont indiqué ses avocats dans une déclaration écrite à La Presse. Essentiellement, l’ARC n’a pas encore déterminé si M. Rémillard était un résident fiscal du Canada ou de la Barbade pour les années 2013 à 2017 (ou du moins, cette information ne fait pas partie du dossier public). M. Rémillard “soutient qu’il n’y a aucune raison de conclure qu’il est un résident du Canada depuis qu’il a pris sa retraite à la Barbade en 2013 et qu’il a payé des impôts canadiens découlant de son immigration”, ont déclaré ses avocats. M. Rémillard précise qu’il n’est actuellement pas soumis à avis d’imposition. L’ARC n’a pas répondu à nos questions lundi.

Confidentialité et huis clos

Autre aspect complexe de cette polémique : l’homme d’affaires à la retraite souhaitait que toutes les preuves fournies par l’ARC à l’appui de sa prétention restent confidentielles. La Cour fédérale et par la suite la Cour d’appel fédérale ont conclu que, selon le principe de la publicité des débats judiciaires, la preuve présentée au procès était présumée de nature publique. M. Rémillard ne pouvait pas demander la confidentialité totale des 3 674 pages de preuves soumises, bien qu’il puisse demander la confidentialité de certaines informations relatives à sa vie privée. M. Rémillard envisage de saisir la Cour suprême à ce sujet. Parallèlement à cette demande de confidentialité totale, il a soumis une deuxième demande de confidentialité, cette fois pour certaines de ses informations financières et des informations sur “des tiers non impliqués dans le procès”. Pendant que l’affaire est en cours devant la Cour d’appel fédérale, une ordonnance de confidentialité est appliquée pour couvrir ces informations. En raison de ces demandes, le Tribunal fédéral a déclaré dans sa décision qu’« il n’avait d’autre choix que de tenir l’audience [du dossier] […] derrière des portes closes “.