Pour la première fois, un chercheur canadien a eu accès aux archives générales des Oblats de Marie-Immaculée (OMI), à Rome. Même s’il a trouvé ce à quoi il s’attendait, à savoir des documents essentiellement administratifs, Raymond Frogner revient néanmoins content de son séjour au cœur des archives des Oblats. Il y a notamment découvert des photographies des pensionnats pour Autochtones, mais aussi des écrits à propos de prêtres qui avaient de la difficulté à enseigner parce qu’ils étaient trop attirés par les enfants. Il y a aussi trouvé des documents sur les finances, les ressources humaines, la maintenance des bâtiments, les conférences, la formation des pères, les novices, la vie de service, les obédiences… essentiellement sur le service des prêtres, donc peu d’informations individuelles au sujet des enfants qui ont fréquenté les 48 pensionnats dirigés par cet ordre religieux au Canada. Raymond Frogner à Rome, où il a eu accès aux archives des Oblats. Photo : Gracieuseté Il constate aussi que cinq jours, c’est insuffisant. « Le travail continue. Ce n’est pas fini et ça va prendre du temps, car la réconciliation commence avec la connaissance. » — Une citation de  Raymond Frogner À sa grande surprise, et même celle des archivistes sur place, précise-t-il, il a mis la main sur 1000 photographies originales en noir et blanc du début du 20e siècle envoyées à l’époque par les prêtres à Rome. On peut y voir des enfants et, au verso, les prêtres y ont décrit le contenu : localisation, date, etc. Mais les noms des enfants n’y figurent pas, indique-t-il. Parmi ces photos, il y en a quelques-unes du fameux champ de Kamloops, là où ont été trouvées ce qu’on croit être 215 sépultures anonymes près du pensionnat pour Autochtones de Colombie-Britannique. Le pensionnat pour Autochtones de Kamloops, en Colombie-Britannique, a accueilli des milliers d’enfants autochtones de son ouverture, en 1890, à sa fermeture, en 1978. Photo : CBC / Jonathan Castell Ces photos sont de très grande valeur, indique Raymond Frogner. Il a d’ailleurs recommandé leur numérisation pour qu’elles soient ajoutées au contenu du site Internet du Centre national pour la vérité et la réconciliation de Winnipeg, qui est le dépositaire principal de toute documentation portant sur l’histoire des pensionnats pour Autochtones au Canada. Il a aussi recommandé que les originaux soient offerts aux communautés autochtones. Ainsi, peut-être, certaines personnes pourraient reconnaître des enfants et les identifier. « Les photos que j’ai trouvées ne sont pas exceptionnelles pour eux [les Oblats], mais pour moi, c’était différent. » — Une citation de  Raymond Frogner C’est curieux, car les Oblats à Rome n’ont aucune idée de ce qu’il reste dans les photos, car ils ne connaissent pas tellement bien l’histoire des pensionnats au Canada, précise le directeur des archives du Centre national pour la vérité et la réconciliation.

Des notes curieuses

Afin de faciliter ses recherches dans ces dizaines de milliers de documents non numérisés et dont le guide pour s’y retrouver est dactylographié, Raymond Frogner est venu avec une liste de prêtres sur lesquels il voulait des informations. Parmi eux, certains étaient à l’ancien pensionnat pour Autochtones de Marieval, à environ 140 km à l’est de Regina. L’an dernier, on croit y avoir localisé 751 tombes anonymes . Même s’il a parlé à des aînés et à des survivants qui lui ont indiqué que tel prêtre était connu notoirement pour les abus contre les enfants, Raymond Frogner n’a presque rien trouvé dans le dossier qu’il cherchait. Cependant, dans d’autres, il a découvert de nombreuses informations, notamment un prêtre qui était au pensionnat pour Autochtones de l’île Kuper, en Colombie-Britannique. « Dans ce dossier, il y a une explication que ce prêtre a de la difficulté à enseigner aux enfants parce qu’il était trop attiré par les enfants, donc, c’est une espèce de commentaire sur la réhabilitation de ce prêtre mais, chose curieuse, il n’y a pas de discussion sur le droit des enfants. » — Une citation de  Raymond Frogner Dans plusieurs dossiers, il a retrouvé cette espèce d’explication de difficulté avec les prêtres et toujours ce problème de réhabilitation des prêtres comme frères dans l’ordre (des Oblats). Intrigué, il a alors fouillé davantage pour voir s’il existait une sorte de norme dans les dossiers d’administration pour de tels cas, bref, s’il y avait une manière de gérer, de répondre quand les prêtres ont commis des crimes contre les enfants. « Je n’ai trouvé aucune réponse collective par l’Ordre, mais j’imagine que cette espèce de dossier doit exister dans les archives. Mais ça prend du temps. » — Une citation de  Raymond Frogner Les archives des Oblats à Rome se divisent en cinq fonds :

Personnel : environ 40 000 pochettes ou dossiers (notes du maître des novices, liste des obédiences, correspondance, etc.).Tous les Oblats qui ont fait des vœux dans la Congrégation et qui sont sortis ou décédés ont au moins un dossier. Provinces : 24 classeurs d’informations sur l’administration provinciale, les congrès, conseils, finances, personnel, rapports, société civile, visites canoniques. Administration générale : ( 11 classeurs). Manuscrits : archives qualifiées de précieuses et abondantes. 50 mètres d’étagères, 2000 titres. Audiovisuel : 20 classeurs, une centaine d’albums photos, une trentaine de films et 50 000 microfilms, cartes géographiques.

Un temps insuffisant

Après cinq jours de recherches, force est de constater qu’il n’a pas eu l’opportunité de vraiment fouiller dans tous les dossiers. Raymond Frogner estime qu’avec plus de temps et d’investigation, il trouvera davantage de secrets, de dossiers. Car, estime-t-il, il a eu l’impression de pouvoir avoir accès à tout. Encore faut-il trouver la bonne piste. Raymond Frogner pense que les dossiers qui ont plus de valeur sont au Canada. Jusqu’ici, les Oblats ont fourni plus de 40 000 dossiers au Centre national pour la vérité et la réconciliation par l’entremise de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Mais il en reste encore : plus de 1000 autres se trouvent au Centre du patrimoine de la Société historique de Saint-Boniface à Winnipeg, d’autres au Royal B.C. Museum à Victoria et à l’archidiocèse de Vancouver ou encore au campus des Oblats de Marie-Immaculée à Richelieu, au Québec, où les documents conservés aux Archives Deschâtelets ont été déplacés. « C’est clair que les archives les plus importantes restent au Canada. À Rome, les archives sont plus administratives, donc on ne trouve pas de témoignages individuels sur les enfants, mais il y a des dossiers intéressants sur les prêtres. Si on veut retrouver le destin des enfants, on ne peut pas le trouver là. » — Une citation de  Raymond Frogner Dans la foulée de la découverte à Kamloops, deux communautés des Oblats de Marie-Immaculée (communément appelés Oblats) ont assuré vouloir dévoiler tous leurs documents liés à leur participation et à la gestion des pensionnats pour Autochtones au Canada, notamment celui de Marieval, en Saskatchewan, et de Kamloops, en Colombie-Britannique. Depuis, assure Raymond Frogner, on a vu une lumière qui était sur les Oblats et sur les archives qui, jusqu’à ce moment, étaient un peu plus retenues. À lire, à écouter aussi :