• Lire aussi : Ukraine : 50 morts, dont cinq enfants, dans l’attaque de la gare de Kramatorsk • Lisez aussi : [EN DIRECT] 44e jour de la guerre en Ukraine : voici tous les derniers développements En fin de matinée, un silence de mort règne dans la belle gare au pignon de briques rouges et blanches et sa grosse locomotive des années 30 installée sur l’herbe du rond-point où se garent habituellement taxis et familles de voyageurs. Un regard vers la cour donne rapidement une idée de l’ampleur du drame : longues traces de sang, verres brisés, bagages abandonnés éparpillés un peu partout. Même spectacle un peu plus loin, sur le front de mer : un roseau côtoie un amas de chair amorphe dégoûtant. Là, un lapin en peluche rougi de sang… Un sac en cuir, intact, est posé près d’un point d’impact qui a percé le béton, un pied déchiré dans la chaussure de basket est encore visible sous un banc où les candidats attendaient au départ. Entre les éclats de verre, un policier décroche ici et là des téléphones ensanglantés dans une boîte, dont l’un sonne dans le vide. “Grève délibérée” Ce qui vient de se passer est une boucherie. Vous ne pouvez pas imaginer les cris et l’horreur de la foule lorsque les éclats d’obus sont tombés. Les cadavres, déchiquetés ou remplis d’éclats d’obus, étaient rassemblés dans un coin de la cour, sous les auvents de petites boutiques où les voyageurs achètent habituellement une boisson ou des cacahuètes avant de sauter dans le train. Dans cet affreux alignement, il y a plus d’une trentaine de corps, dans des sacs mortuaires ou sous des bâches en plastique vert. Dans une vieille main déjà blanchie par la mort, une botte de fourrure d’enfant, une calvitie… on suppose que les victimes sont de tous âges. La tente qui abritait et protégeait habituellement les familles du froid ou de la pluie a été emportée par l’explosion, la bâche kaki s’est ouverte pour recueillir et recouvrir les débris. Sous les ordres d’un médecin militaire, soldats et policiers évacuent déjà péniblement les cadavres dans une morgue de camion de l’armée. Certains sacs ne pèsent pas, deux hommes suffisent pour les mettre dans le van, probablement un enfant ou des parties du corps. A côté de tous ces corps sans vie alignés, un secouriste a mis un chihuahua entouré d’un tissu noirci, étourdi mais toujours vivant, la mâchoire transpercée par un fragment. L’animal attire tous les regards. De nombreuses familles ont emmené leurs animaux de compagnie avec elles lors de leurs sorties. Selon le gouverneur de la région, Pavlo Kyrylenko, au moins 50 personnes, dont cinq enfants, ont été tuées dans ce “coup des troupes d’occupation russes à la gare de Kramatorsk”. Une centaine ont été hospitalisés, y compris dans un hôpital militaire. “Une cinquantaine étaient dans un état grave, beaucoup vont mourir, car ils ont perdu beaucoup de sang et il nous manque du sang ici”, a commenté sur place un militaire qui a participé à l’accueil des blessés. Le directeur des chemins de fer ukrainiens Ukrzaliznytsia, Oleksandre Kamyshin, a dénoncé une “grève délibérée”. Des milliers de personnes ont été évacuées ces derniers jours en train depuis la gare de Kramatorsk, la capitale du Donbass sous contrôle ukrainien, qui vit dans la crainte d’une attaque russe majeure et imminente. Les autorités ukrainiennes n’ont cessé d’appeler la population à évacuer le Donbass au plus vite. Pour l’armée russe en revanche, qui dénonce une provocation, “le but de la grève orchestrée par le régime de Kiev (…) était d’empêcher le départ de la population” de Kramatorsk. “Où est mon mari?” Environ une heure avant la grève, il y avait déjà des dizaines de citoyens – des personnes âgées, des femmes et des enfants – qui faisaient la queue devant la gare. “Je cherche mon mari, il était là, je n’arrive pas à le joindre”, a crié une femme en rouge. Tremblante, elle hésite à s’approcher des corps, son téléphone collé à l’oreille. Une autre femme, Natalia, également blessée, court pour “retrouver son sac avec son passeport” au milieu de choses abandonnées. “Il y avait beaucoup de monde dans et devant la gare. J’étais à l’intérieur, j’ai entendu une double explosion, je me suis précipité vers le mur pour me protéger”. Elle a du mal à parler car elle est à bout de souffle, un policier l’accompagne et ils marchent tous les deux rapidement en essayant d’éviter les traînées de sang sur le sol. “Puis j’ai vu des gens saigner à la gare, des cadavres partout par terre, je ne sais pas s’ils étaient blessés ou morts. Les militaires se sont précipités pour nous dire d’évacuer la gare, j’ai tout laissé ici”. Dans la pelouse de la cour devant la gare, un ruban de police interdit de s’approcher de trop près des restes d’un imposant projectile kaki. “C’était une roquette Tochka, une bombe à fragmentation”, a déclaré à l’AFP un policier sur place. Selon le sang au sol et les témoignages recueillis sur place, les victimes ont été découpées en de nombreux endroits de la gare, dans le quai principal adjacent et dans sa cour. L’Agence française a dénombré au moins quatre points d’impact sur le périmètre de la station, autour desquels les victimes étaient regroupées. L’équipe de l’AFP a également pu récolter de petits morceaux d’acier sous forme de petits anneaux avec des lames tranchantes comme des rasoirs. Le missile est étiqueté en russe, en blanc, “Pour nos enfants”. Une phrase qui ressemble à de la vengeance, une expression récurrente des séparatistes pro-russes par rapport à leurs enfants tués lors de la première guerre du Donbass, qui a débuté en 2014.