POLITIQUE – Comme une tortue rusée dans un bowling. Dynamique dans les sondages, Jean-Luc Mélenchon peut viser le “trou de souris” qu’il évoquait fin 2021, pour se qualifier pour le second tour de l’élection présidentielle. Si l’affaire reste très incertaine, compte tenu des avancées d’Emanuel Macron et de Marin Le Pen, et des rapports de force actuellement mesurés dans les différents sondages, le candidat de la France insoumise a fait du chemin. Certifié avec 9 % des suffrages en février dernier, le député Bush-du-Ron compte désormais entre 16 et 17 %, à trois jours du premier tour, comme vous pouvez le voir dans le compilateur de notre sondage ci-dessous. L’élan de dernière minute fait écho à son retour spectaculaire en 2017. Plus largement, c’est toute la campagne Insoumis, sa dernière en date, semblable à la précédente : départ avant les autres, planning chargé, innovations technologiques et autres grand-messe à la campagne. Mais à une exception près : Jean-Luc Mélenchon semble mettre moins de pression sur son visage ou son travail qu’il y a cinq ans, avec des attaques le visant davantage de la part de ses rivaux de gauche que de ses adversaires de droite. L’une des premières explications à cela est sans doute électorale. Emanuel Macron est occupé à viser son adversaire direct, Marin Le Pen, et à marteler le “tandem d’extrême droite” qu’il forme avec Eric Zemour. La candidate de la Coalition nationale, plus proche que jamais de l’Elysée, toujours selon les sondages, lui rend la pareille, rassemblant ses flèches en direction de la candidate à la présidentielle.
“Le plan délirant du français Chavez”
Il n’y a pas que ça. Si ce cadre permet au dirigeant Insoumis de passer entre les gouttes, il cache, après tout, une forme de normalisation ou d’humiliation. Il a été témoin, par exemple, du changement de ton de la presse française à son égard entre 2017 et 2022. Il y a cinq ans, Le Figaro consacrait une grande partie de sa Une du 12 avril – vingt jours avant le premier tour – à une analyse du « travail délirant du Chavez français ». L’Insoumis y est dépeint comme “l’apôtre des révolutionnaires sud-américains” en trois pages. Il y a quelques heures, le journal publiait un article meurtrier intitulé “Maximilien Ilitch Mélenchon”, sur Maximilien Robespierre et Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine. “Il faut avoir peur que la France ruinée de M. Mélenchon décide vite qu’il faut importer du fromage et du vin…”, s’inquiète l’auteur du texte, évoquant un ouvrage “grossièrement démagogique”. Un déferlement de critiques propagées dans le champ politique par les candidats Macron ou Figion, les premiers à viser le plan “dangereux” des “révolutionnaires communistes”. Dans le même esprit de modération, celui qui dirigeait alors le Mouvement patronal du Médef, Pierre Gattaz, estimait dans les colonnes du Parisien que le vote Mélenchon (comme Hamon ou Le Pen), “c’est la destruction, le désespoir et la désolation, généralisés”. Il a ajouté : « Pour les Insumis : s’ils sont élus, « nous le prendrons pendant quinze ou vingt ans » avec à la clé « l’appauvrissement des Français ». Force est de constater que ces barrages sont beaucoup moins alimentés cinq ans plus tard. A titre de comparaison, le successeur de Pierre Gattaz à la tête du Médef, Geoffroy Roux de Bézieux, n’a pas hésité à tisser quelques lauriers pour le candidat de 70 ans dans le tournage de France 2 en février dernier. considérant qu’il est “prêt à gouverner”. « Que se passera-t-il si vous êtes élu ? “Il n’y aura pas de chaos comme certains disent (…) vous ferez le bonheur des Allemands et des industriels italiens”, a déclaré le chef du principal syndicat patronal, avec un peu plus de nuance que son prédécesseur.
Le pansement international
Il reste, après tout, une limite à ce changement de ton : les enjeux internationaux. Comme en 2017, Jean-Luc Mélenchon se démarque par ses positions diplomatiques à contre-courant de la majorité des candidats. Il y a cinq ans, ses adversaires l’ont accusé de vouloir rejoindre l’Alliance bolivarienne pour les peuples (ALBA). Une organisation politique et économique créée en 2004 par Hugo Chavez et Fidel Castro en Amérique latine, qui comptera plus tard l’Iran… et la Russie comme pays observateurs. Un point qui n’apparaît plus aussi clairement dans l’édition 2022 du “Common Future”. Désormais, pendant la guerre d’Ukraine, Jean-Luc Mélenchon va au-delà de ses vieilles déclarations sur la Russie et contre l’OTAN. Ce n’est pas un hasard si Yannick Jadot ou Anne Hidalgo ne manquent pas une occasion politique ou médiatique de mettre en cause la « complaisance » du passé, disent-ils, avec Vladimir Poutine. Le candidat socialiste ira jusqu’à qualifier Jean-Luc Mélenchon d’”agent” qui “servait les intérêts de Poutine et non de la France, essayant d’adoucir ce que le régime russe préparait contre l’Europe”, dans les colonnes de l’Express fin février. Même angle d’attaque pour le leader vert. Yannick Jadot a mis en cause “des frictions dont la déformation actuelle cache à peine l’abandon des Ukrainiens” lors d’un meeting au Zénith de Paris le 27 mars, sans nommer le député LFI. Acerbes, ces critiques ne semblent pourtant pas décourager les partisans du vote utile, ces militants de dernière minute. Ni les personnalités qui se sont dévouées au chef des révolutionnaires, bien plus nombreuses qu’il y a cinq ans. Jean-Luc Mélenchon peut ainsi compter sur le soutien de l’ancien journaliste et zoologiste Aymeric Caron ou encore sur le soutien récent de 70 militants EELV et cadres du petit parti Générations. Question “peuple”, 2000 artistes ont signé un appel, en avril dernier, le 4 avril, pour mettre le bulletin de l’Union populaire dans les sondages. Parmi eux : Blanche Gardin, Annie Dupérey ou Bruno Solo. Même l’un des plus grands streamers français, “RebeuDeter”, Billal Hakkar de son vrai nom, s’est prononcé en faveur de “Mélenchon 1000%” sur les réseaux sociaux ce jeudi 7 avril. Un engagement particulièrement rare au sein de cette communauté, habituellement très réticente à s’engager en politique. Et le signe, et là, de cette forme de respect que le candidat acquiert. Merci pour le soutien ! 1000% c’est beaucoup pour un premier tour, mais au second on obtient 😎 ! Il le fera, nous vaincrons 💪 ! https://t.co/pdZOnQVzlJ — Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) 7 avril 2022 À lire aussi Le HuffPost : Ces électeurs de Jean-Luc Mélenchon regardent leur premier meeting (et leur premier hologramme)